Complétistes Français : leurs secrets (Jean-Baptiste Thiébot et le Haras de B’Neville)
A la une du THM (un nouveau magazine équestre Australien) de décembre / janvier, il y avait un gros dossier sur « le succès des complétistes Français : pourquoi ? ». Avec plusieurs interviews d’éleveurs, de cavaliers et d’institutionnels, ça aurait été dommage de passer à côté ! Nous l’avons donc fait traduire aux élèves du Master Rédacteur/Traducteur UBO à l’Université de Bretagne Occidentale pour vous livrer la version en Français ce mois-ci.
Après la présentation, l’interview de Sandra Auffart (relire ici) et celle d’Yves Berlioz (relire ici), voici celle de Jean-Baptiste Thiébot :
« On m’avait prévenu que l’interview serait difficile, que Jean-Baptiste n’était pas bavard. Ça devait mon jour de chance parce qu’il a parlé et parlé, tellement que je devais lever la main pour l’interrompre et laisser à Élise Bourdin de l’UNIC (Union Nationale Interprofessionnelle du Cheval) qui m’assistait, le temps de rattraper dans sa traduction.
La ferme de Jean-Baptiste est belle, de vieilles écuries magnifiques, une belle demeure et un jardin charmant. Mais on se rend très vite compte que ce n’est pas l’intérieur qui importe, mais l’extérieur. Il y a des papiers partout et un micro-ondes semble avoir remplacé la cuisine traditionnelle. Son amie Catherine Delpierre, qui l’aide à accueillir les visiteurs, nous explique que « tout ce qui intéresse Jean-Baptiste, ce sont ses poulains. Le reste de sa vie n’a pas vraiment d’importance. »
Apparemment, Jean-Baptiste se dirigeait à l’origine vers une carrière plus conventionnelle d’avocat avant que les chevaux ne prennent le dessus : « J’étudiais le droit et je suis venu ici en vacances chez mes oncles. Ils avaient des vaches et six juments. Avant le stud-book du Selle Français, il y avait celui de l’Anglo-Normand. Il y a toujours eu ici en Normandie quelques juments pur-sang qui ont été mélangées avec l’Anglo-Normand. Ces juments venaient d’Irlande et du Royaume-Uni »
« À la fin de mes études de droit, j’ai commencé à réfléchir à mon avenir et j’ai décidé de devenir agriculteur et éleveur de chevaux. Je suis donc revenu ici, dans cette ferme en Normandie. J’ai commencé à élever quelques chevaux, puis l’élevage a grossi. J’avais huit juments et tout a commencé. »
Vous élevez des chevaux pour le saut d’obstacle plutôt que pour le concours complet parce qu’il y a plus d’argent en cso…
« Il y a trente ans, vous aviez autant de compétitions en complet qu’en saut d’obstacle, aujourd’hui, c’est très différent. À l’époque, les grandes familles de l’équitation en Normandie (Navet, Leredde et Pignolet) sortaient en concours complet. Et puis, la tendance a tourné vers le saut d’obstacle parce qu’on y gagne beaucoup d’argent »
Est-ce que ça va changer après la victoire des cavaliers de complet à Rio?
« Tout l’argent est investi dans les grosses compétitions de saut d’obstacle, mais j’ai deux jeunes chevaux dans mon écurie qui seraient, je pense, très bons pour le complet, donc j’espère qu’après Rio le marché va augmenter dans ce secteur. Le complet est une discipline extraordinaire, comprenant du dressage, du cross et de l’obstacle, et j’aimerais bien continuer à vendre des chevaux pour ça. Mais la réalité est parfois difficile et je vends des chevaux pour l’obstacle parce qu’il faut bien que je vive. »
Quels sont les étalons les plus marquants que vous avez utilisé ?
« Récemment, ça a été Kannan. Il produit des poulains de tous niveaux, pour les amateurs comme pour les meilleurs professionnels. J’ai 25 juments pour lesquelles je fais appel à une vingtaine d’étalons différents. »
Faites-vous appel à des étalons jeunes ou seulement à ceux qui ont fait leurs preuves ?
« J’utilise certains des jeunes. Beaucoup d’éleveurs en France font appel à Kannan ou à Diamant de Sémilly, mais j’utilise aussi les fils de ces deux-là. La production de Diamant est soit top soit mauvaise, donc l’utiliser est risqué. Quand je choisis un étalon, je préfère choisir ceux qui sont montés par des femmes ou de riches amateurs. Les cavaliers amateurs ont les meilleurs chevaux parce qu’ils ne sont pas très bons cavaliers. Quand c’est Ludger Beerbaum ou Kevin Staut qui monte, vous ne pouvez pas savoir à si le cheval est vraiment bon. »
« J’ai utilisé Kapital d’Argonne (Apache d’Adriers / Galoubet) qui était monté par l’Italien Emilio Bicocchi. C’était un très bon cheval parce qu’il n’était pas monté par le meilleur cavalier au monde. »
Vous aimez garder du sang dans votre programme d’élevage. Ce n’est pas difficile avec les gens qui ne veulent pas acheter de poulains pur-sangs?
« C’est compliqué parce que c’est difficile d’avoir du bon sang et il n’y a pas d’intérêt à avoir du sang si c’est du mauvais. Le poulain doit être bien dans sa tête. Mes juments ont du sang. Par exemple, pour Piaf, un journaliste a dit que c’était étonnant car il ressemblait à un cheval avec beaucoup de sang quand ses origines n’en montrent pas. Mais il y a du sang à la quatrième génération. »
(Piaf de B’Néville est en réalité cheval de sang à plus de la moitié (57,42%). Il est par Cap de B’Néville un petit-fils du grand Rantzau XX, et par le père de la mère, Reve d’Elle, un arrière-petit-fils de Jalisco. Une fois passée cette quatrième génération, vous trouvez tous les grands pur-sangs qui ont eu une influence sur le cheval français : Rantzau, le seul à apparaître à la quatrième génération, Ultimate (trois fois), Furioso, Le Sancy, Fra Diavolo, Phalaris, l’Alcazar et sept croisements avec Orange Peel.)
« J’ai une jument par Quick Star qui a beaucoup de sang et que j’ai croisée avec Lam de Fétan (Ferger Mail / Le Tot de Sémilly) qui est plutôt lourd avec très peu de sang. Et bien le poulain est un cheval de sang. » Est-ce que Piaf avait quelque chose de spécial dès le début ? « Certainement pas. Au début, il ne sortait absolument pas du lot. Il n’était pas très grand car c’était le premier poulain de la jument. Mais arrivé à l’âge de trois ans, on voyait qu’il avait vraiment un bon mouvement. Je l’ai alors présenté à des acheteurs mais ils ne l’ont pas aimé. Il était trop jeune et trop vert. C’est alors que l’entraîneur d’Astier Nicolas a repéré Piaf et un autre cheval. Ils ont acheté l’autre cheval et l’ont entraîné en complet pour la finale Jeunes Chevaux à Pompadour. »
« Mais six semaines avant la finale, le cheval s’est blessé. L’entraîneur m’a appelé et m’a dit : « M. Thiébot, c’est une catastrophe. » Elle se rappelait Piaf et m’a demandé si je pouvais vendre le cheval pour que le cavalier puisse aller à Pompadour. Le cavalier a commencé à travailler avec Piaf et madame Perrier l’appréciait beaucoup. Mais après quelques mois, il a arrêté de monter et son père m’a appelé pour me dire qu’il ne voulait plus le cheval. Piaf est donc revenu ici. »
« C’est là que la mère d’Astier a appelé pour dire qu’il avait vu le cheval et qu’il l’aimait bien, mais il appartenait alors à un ami et il ne voulait pas s’immiscer. Elle est donc venue avec lui et après un essai, Astier l’a acheté avec l’aide d’un ami. C’est un autre exemple de ces histoires extraordinaires de chevaux. Si Piaf était resté avec le premier cavalier, personne n’aurait jamais entendu parler de lui. »
« Un autre exemple de ce type est l’histoire de Nino de Buissonnets avec Steve Guerdat. Le cheval a été bradé car son propriétaire n’en voulait pas. Pareil pour Idéal du Thot. Il appartenait à un couple près d’ici qui n’a pas vu que le cheval était bon. Il a ensuite gagné une finale de Coupe du monde avec Beat Mandli. Parfois, je dois vendre mes chevaux à des cavaliers moyens parce que je ne peux pas les garder, et je ne peux pas choisir à qui je les vends. Il arrive que leur avenir ne soit pas ce que j’espérais. »
Quelle est la motivation ? Qu’est-ce qui fait de vous un éleveur ?
« Des fois, c’est mieux de vivre avec les chevaux qu’avec les humains. Ma passion, c’est d’élever les chevaux et je veux partager cette passion avec d’autres éleveurs. Je ne sais pas si c’est le cas dans d’autres parties du monde, mais en France, le stud-book du Selle Français a enregistré une diminution du nombre de poulains de moitié. J’espère que ça va s’arrêter là et ne pas baisser plus. »
« Je fais très attention à la façon dont les chevaux grandissent, à leur alimentation et aux prés. Ce sont des éléments vitaux à leur bien-être. Tout repose sur un programme de préparation en quatre ans pour que le cheval soit prêt pour le complet ou le cso. Je produis moi-même environ 80 % de l’alimentation de mes chevaux. J’utilise différentes céréales et ils ont des compléments et des minéraux tous les jours. Grâce à ces conditions d’élevage, quand les gens viennent acheter un cheval ici et qu’ils font la radio de contrôle, ils ne trouvent rien de mauvais. »
« On peut conserver la semence d’un étalon, mais quand une jument meurt, on perd tout. En Italie, ils essaient de produire des poulains en laboratoire, sans parents. Avec une seule jument, ils arrivent à avoir plus de 20 œufs. Pour le concours complet, nos chevaux doivent présenter différentes caractéristiques. Je ne pense pas que les poulains nés en laboratoires auront ces qualités et pourront aller en compétition. »
Il était temps de dire au revoir à Jean-Baptiste, à sa passion et à ses chevaux. Nous étions attendus au Lion d’Angers, où le mondial des Jeunes Chevaux nous appelait… »
La suite la semaine prochaine…
Enquête de Christopher Hector, Traduit de l’Anglais par Anne Burkel-Gibaud
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Pour en savoir plus sur l’université Bretagne Occidentale https://www.univ-brest.fr/RT