Gilles Chanteloube: gardien des paddocks de Tokyo à Lignières
Gilles Chanteloube est l’une des chevilles ouvrières des concours complets internationaux depuis de nombreuses années. Figure de l’ombre connu principalement par les cavaliers, le commissaire au paddock n’en est pas moins indispensable au bon déroulement de la compétition et au respect des règles du concours. A une semaine du début de l’international de Lignières, rencontre avec un stewart voyageur qui a gardé un lien indéfectible avec le concours du Berry.
Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours en tant que stewart et commissaire au paddock ?
J’ai commencé comme commissaire au paddock à la fin des années 80 lorsque j’étais à Rennes. A ce moment-là j’ai acheté une maison à rénover et je ne voulais pas perdre le contact avec le milieu des sports équestres. J’ai aussi commencé parce que j’ai vu trop de brutalité sur les paddocks.
Ensuite, je suis arrivé à Lignières en 2007-2008, j’étais stewart international en complet et en CSO à l’époque. L’ACEVA cherchait à organiser un international donc je les ai aidés par mes connaissances. Ensuite, je suis devenu président de l’ACEVA.
En 2014, je suis allé à Aix-la-Chapelle en tant que stagiaire en complet, et depuis j’y suis retourné tous les ans pour le CSO, ils ont dû trouver que je n’étais pas mauvais pour le CSI aussi… J’y étais le weekend dernier sur le 5*. En obstacles j’ai deux championnats d’Europe en CSO à mon compteur, à Aix-la-Chapelle en 2005 et à Göteborg en 2017 ; et un en complet, pour les championnats d’Europe Jeunes à Fontainebleau en 2018.
Actuellement, je suis davantage présent sur les concours hippiques, je fais 5 ou 6 concours 5* par an. Cette année est particulière pour moi car je vais faire trois CCI4* en tant que Chief Stewart, à Lignières puis à Montelibretti et au Pouget.
Est-ce que le stewarding est votre occupation à plein temps ?
Non pas vraiment, chaque année j’ai environ 90 jours de paddock. Cette année je vais en faire un peu plus car je suis retraité depuis le début de l’année, ce qui me permet d’avoir plus de libertés mais je ne le fais pas à plein temps, ce n’est pas mon métier.
Et puis cela dépend des organisateurs qui souhaitent m’avoir dans leur équipe. C’est comme cela que ça se passe sur le haut niveau, ce n’est pas moi qui décide où je vais mais ce sont les organisateurs qui me contacte. Je suis ensuite libre d’accepter ou de refuser. Ce n’est pas moi qui vais faire la démarche pour aller sur tel ou tel concours, en international cela ne se fait pas. Je publie mes disponibilités sur l’année et les organisateurs me contactent lorsqu’ils ont besoin.
Comment choisissez-vous les concours entre le CSO et le concours complet ?
A l’origine j’étais cavalier amateur de CSO, j’ai commencé en Allemagne au début des années 80 jusqu’à des épreuves 130, 140. Quand je suis revenu en France, j’ai été intéressé par le complet et je suis tombé amoureux de la discipline. J’aime bien les deux disciplines mais j’ai une grosse préférence pour le complet !
Quelles différences significatives observez-vous entre les deux disciplines au niveau du paddock ?
C’est principalement sur l’attitude des cavaliers, il y a un enjeu financier différent de toute évidence entre les deux. Et puis la mentalité, l’ambiance est totalement différente.
Vous étiez présent pour les Jeux Olympiques de Tokyo, pouvez-vous nous raconter cette expérience ?
J’y officiais en tant qu’assistant stewart, sur les deux disciplines en CSO et en complet. Nous étions nombreux car il y avait environ 70-75 officiels stewart pour les trois disciplines avec le dressage. Certains n’ont fait qu’une discipline, et d’autres ont fait les trois.
A Tokyo c’était une expérience particulière car les restrictions sanitaires étaient très oppressantes. Nous étions dans une bulle où nous faisions hôtel-bus-terrain et c’est tout. Nous n’avions le droit d’aller nulle part ailleurs, ni au village olympique. C’était relativement difficile mentalement, surtout que j’y suis resté trois semaines. Au niveau du concours en lui-même, cela n’a rien à voir avec un concours classique. L’application du règlement est très, très stricte ; nous n’avons aucune possibilité de faire un écart. Il y a aussi l’enjeu par équipe qui fait une atmosphère particulière. C’est difficile à expliquer, les Jeux Olympiques, c’est vraiment à part !
Parmi toutes vos belles expériences, est-ce qu’il y en a une qui sort un peu du lot ?
Tokyo est une des plus belles expériences que j’ai connues ! Mais après j’en ai tellement que c’est difficile de faire un choix. Bien sûr, les deux championnats d’Europe à Aix-la-Chapelle et Göteborg. Les championnats d’Europe Jeunes à Fontainebleau sont aussi un très bon souvenir car c’était des jeunes cavaliers. Et puis de faire des 5* en CSO, on ne peut que garder cela en mémoire ! Quand on va à Monaco, à Rome, ce sont des concours d’exception ! (Parmi les principaux CSI français Gilles a participé aux Masters de Chantilly, aux Paris Longines Masters, à l’international de Dinard, au Paris Eiffel Jumping, au CSI de Saint-Tropez etc… ).
A propos de l’international de Lignières qui a lieu dans quelques jours, vous avez beaucoup contribué à son évolution. Quel rôle avez-vous actuellement dans l’organisation ?
La première édition de l’international de Lignières était en 2008. J’ai participé à toutes les éditions, que ce soit côté organisateur, où je suis toujours Vice-Président de l’ACEVA, ou en tant que Chief Stewart. Dans ce cas, pendant le concours je laisse la partie organisation, même s’il y a toujours des choses à faire !
Avec Emmanuel Lagarde, directeur du CCI et Guillaume Belbeoch, Président de l’ACEVA, nous formons un trio porteur pour le concours international. Il y a bien sûr aussi toute l’équipe de l’association avec nous car tout le monde est important dans l’organisation.
Comment percevez-vous l’évolution du concours qui aujourd’hui est incontournable dans le calendrier national et international ?
Nous avons réussi à attirer les étrangers car nous avons habituellement beaucoup de cavaliers anglais. Cette année il n’y en aura pas ou très peu car c’est compliqué pour eux de venir en France à cause de la Covid et du Brexit qui fait que les frais de passage de la frontière sont énormes. On a aussi eu la chance d’avoir Pierre Le Goupil comme chef de piste. Comme il a travaillé en Angleterre, il connait bien tous les cavaliers anglais donc c’est grâce à lui qu’ils sont venus. On a ensuite pu attirer des cavaliers d’autres nations du fait de la reconnaissance du concours.
Comment voyez-vous votre rôle de commissaire au paddock/stewart au sein du concours ? Et par rapport aux membres du jury ?
Le commissaire au paddock est en charge de l’application des règlements, principalement sur le bien-être du cheval, pour tout ce qui est en dehors de la piste de compétition. Cela nous donne une zone de travail énorme entre les écuries, les terrains de détente, toutes les aires où se déplacent les chevaux, le parking etc… Il faut aussi veiller sur le harnachement en piste.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des disciplines entre vos débuts et maintenant ?
Lorsque j’ai commencé, j’étais dans les premiers au niveau national. J’étais mal vu par certains cavaliers, mais très bien vu par d’autres. Maintenant que cela a évolué, tout le monde est sensibilisé au fait que le règlement est indispensable et qu’il faut s’y plier, comme le code de la route, bien que nous ne soyons pas des gendarmes. Tout le monde s’est fait à cette idée donc cela va beaucoup mieux.
L’évolution de notre sport n’est pas terminée parce qu’avec le cheval, on va se diriger vers encore plus de restrictions sur les agissements et les façons de faire des cavaliers. Comme je le constate en Allemagne, les associations de défense des animaux estiment que l’on ne doit plus monter à cheval. Pour moi, si l’on ne monte plus à cheval, des races vont disparaitre, sans parler des conséquences économiques importantes pour toute une filière. En France, cela s’approche doucement, je connais quelques personnes qui militent dans ce sens, y compris des vétérinaires…
Propos recueillis par MO